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Causerie. Lyon, 21 novembre

Juste au moment où le monde entier s'indigne contre les attentats infâmes de l'anarchie, de jeunes écrivains parisiens viennent de se réunir, sous le nom de groupe de l’idée nouvelle, et cette idée nouvelle n'est autre que là « bienfaisante anarchie », pour employer l'expression dont se sert cet étrange cénacle.

N'allez pas croire qu'il s'agisse, pour ces doux éphèbes, de parler de l'anarchie métaphysique, d'instituer des débats théoriques sur la meilleure des sociétés. Point du tout. La « jeunesse contemporaine » veut fonder un culte inédit, le « Ravacholisme. » Elle a pour organe une revue dont le dernier fascicule annonce un numéro exceptionnel sur Ravachol, qui est qualifié de « glorieux propagandiste ». Dans cette étude on amalgame, à l'aide de documents et de détails inédits, la vie du nouvel apôtre, et on analysera comment il a été amené à si « bellement agir. »

Bellement agir ! Ah ! que voilà un terme galant pour évoquer le souvenir des vols, des assassinats et des violations de sépulture qui furent les actions d'éclat du guillotiné de Montbrison.

Ainsi donc, nous allons avoir toute une littérature pour chanter l'épopée de la dynamite, avec des rythmes rares, des proses décadentes et des vocables précieux. Car tous les compagnons de « l'idée nouvelle » entendent demeurer des gens très chics, aussi bien par la tenue distinguée que par la recherche du style. Etant fils de bourgeois ils ont un tailleur et un éditeur qu'ils payent, et leur anarchie ne va pas jusqu'à sacrifier les agréments et les commodités de la vie que leur valent les écus paternels.

C'est bien là ce qui fait croire que nous avons affaire à de simples farceurs, dont le vrai programme a pour but d'épater le commun. Ils descendent en droite ligne du Rodolphe et du Schaunard de Mürger, dont la bohème tendait surtout à étonner le bon public. Mais ces derniers, au moins, étaient charmants de gaîté, de jeunesse et de fantaisie. S'il se glissait quelque affectation dans leurs excentricités, il y avait, en revanche, infiniment de bonne humeur et d'esprit. Tandis que les poseurs gommeux de la Revue anarchique ne sont que des fumistes lugubres et gourmés.

Sans doute il faut bien que jeunesse se passe et il convient d'être indulgent pour les écarts de l'adolescence. Seulement c'est faire un sot et triste usage de ses vingt ans que de les galvauder dans ces débauche; de littérature anarchiste. Mieux vaut encore le bal des Quatre-z-Arts, avec ses outrages à la morale de M. Béranger, que les publications des jeunes esthètes qui s'emploient à glorifier, en de truculents paradoxes, les plus vils assassinats.

Sans compter que la société pourrait fort bien prendre la chose du mauvais côté, en démontrant aux mystificateurs de « l'idée nouvelle », par une poursuite correctionnelle en bonne forme, qu'il est des sujets avec lesquels il est malséant et dangereux de plaisanter.

Si je réprouve l'enquête littéraire sur Ravachol, je m'explique fort bien celle que vient de faire auprès de personnalités compétentes, M. Baillif, secrétaire du Touring- Club, sur le point de savoir si l'on doit dire monter à ou en bicyclette. MM. Gréard, Emile Zola et Francisque Sarcey lui-même ont été consultés et ont répondu.

D'après ces messieurs, la logique et la grammaire voudraient que l'on dise monter à bicyclette, de même qu'on dit monter à cheval ou à âne. Mais ils ajoutent qu'en pareille matière l'usage est souverain Je n'ai pas d'opinion, écrit M. Sarcey; ce que décidera la foule sera bien décidé.

Je comprends que l’éminent critique se désintéresse de la question, sa noble corpulence lui interdisant le sport si justement à la mode. Mais les innombrables cyclistes de Paris, de Lyon et de la province, ne sauraient demeurer dans l'incertitude sur une aussi cruelle énigme. Bien que je n'aie pas été consulté, et que mon autorité soit médiocre, je me permets de donner mon sentiment :

Si la bicyclette était un véhicule, il faudrait se servir de la préposition en comme on dit je monte en voiture; mais c'est au contraire une véritable et parfaite monture, plus sensible, plus maniable, plus rapide et plus résistante qu'un cheval de pur sang. On doit donc dire monter à bicyclette. Les bicyclistes qui parleraient autrement assimileraient, sans le vouloir, leur machine à un vulgaire fiacre - sacrilège qu'ils se garderont bien de commettre.

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